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Albanie : la photothèque Marubi

Clichés de la photothèque Marubi

Qui dirait en voyant les façades colorées de Tirana et les places encombrées de cafés que squattent tant de jeunes en jeans qu’il y a à peine plus d’un siècle l’Albanie n’était qu’un tout petit bout d’Orient oublié par l’histoire. Pour s’en souvenir rien de mieux qu’un petit tour à la photothèque Marubi, une institution incontournable de Shkodër, la grande ville du nord de l’Albanie. C’est là qu’on découvre la plus invraisemblable collection de photos de la seconde partie du XIXe siècle et de la première partie du XXe où l’on trouve pêle-mêle odalisques et janissaires, riches marchands turcisés et simples villageois, révolutionnaires et soldats de tous les régimes qui se sont succédés dans le pays. Peu de fresques et de paysages : c’est dans l’intimité du studio décoré de motifs champêtres et la lumière de ses projecteurs que la plupart de ces personnages ont pris la pose…pour l’éternité.

Cette collection, on la doit aux Marubi, une dynastie de photographes établis dans la grande ville du nord pendant un siècle. C’est en 1858 que le fondateur, Pietro Marubi, un voyageur italien fuyant la répression contre les garibaldiens, s’installe à Shkodër où il fait découvrir la photographie à une population ravie de cette toute nouvelle avancée technologique. Marubi prend deux assistants, les frères Mati et Kel Kodheli, que, sans enfants, il adopta et fit scolariser dans les meilleures écoles de photographie du monde. Le premier mourut jeune. C’est le second, qui prit le nom de Marubi, puis son fils Gegë, qui ont amassé des dizaines de milliers de clichés que le dernier offrit à son pays, après l’instauration du communisme qui sonna le glas des studios privés de photographes.

Portrait exposé à la photothèque Marubi

Au fil des années, qui virent se moderniser la photographie et passer les régimes (de l’empire ottoman au régime communiste d’Enver Hoxha en passant par le protectorat italien et le bref règne du roi Zog), les portraitistes se font photojournalistes. On leur doit ainsi tout un travail de documentaristes des petits métiers et coutumes locales, notamment les cérémonies funéraires, ainsi que quelques images d’événements turbulents retraçant l’époque chaotique de l’entre-deux guerres dans le tout nouveau pays. Il dépeint l’insurrection montagnarde de 1911 et les participants à la conférence de Vlorë qui déboucha sur déclaration d’indépendance de 1912. Parmi les 150.000 clichés du musée, on trouve un portrait du roi Zog mais aussi une photographie du jeune Enver Hoxha datant de 1936, purgée par la suite de son entourage lors de la dictature, et rétablie dans son environnement originel.

Car ce n’est qu’avec la chute de la dictature, en 1991, que l’Albanie redécouvrit le trésor patrimonial que constituent les photos prises par Marubi et ses descendants. Aujourd’hui le studio accueille des visiteurs en renouvelant régulièrement les images exposées. Le décor bucolique favori qui a vu défiler dans de personnalités et d’anonymes a lui été reconstitué. Libre à vous de vous y faire tirer le portrait !

 

Hélène Despic