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Le vin serbe : les vignes du Père Platon

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Quand nous l'avions rencontré la première fois, en mars de l'année dernière, il inspectait telle une sentinelle à l'affût ses vignes fraîchement taillées. Et il tenait bien sûr à nous faire goûter le produit de ces vignobles qui font la renommée du monastère orthodoxe de Bukovo et de l'est de la Serbie, des cépages au nom fleurant bon la France, des Cabernet, des Sauvignon, mais aussi des cépages locaux inconnus de nos palais, les Prokupac qui produisent un vin riche ou encore des Tamnjanika, une sorte de muscat qui donne un vin rouge si léger qu'on le dirait presque « frisante », à l'italienne. Un coup de cœur si fort que nous fûmes conviés à revenir pour les vendanges. Ce que nous fîmes naturellement. Avec des amis que, nouvelle organisatrice de voyages, j'avais convaincu de faire avec moi un voyage test inaugural de ma toute nouvelle agence.

 

A 31 ans, le Père Platon n'est pas un viticulteur comme les autres. Il est d'abord un moine. Le plus jeune de ce tout petit monastère situé aux confins de la Serbie, à deux pas du Danube qui après les mythiques Portes de Fer s'en va creuser son chemin entre la Bulgarie et la Roumanie. C'est là qu'il a pris ses quartiers il y a sept ans, d'abord comme novice, c'est là qu'il a été ordonné moine, c'est là qu'il est devenu œnologue. Ils sont sept aujourd'hui, plus sept employés, et une quinzaine de saisonniers, à faire tourner le monastère, les vergers et les 7 hectares et demi de vigne que compte la propriété restituée à l'église par les autorités post-communistes. Une véritable entreprise qui produit des vins mais aussi des eaux de vie confectionnées dans de vénérables alambics, des confitures ainsi que des crèmes et des onguents.

 

Les vins serbes de la Negotinska Krajina (ou région de Negotin) ne sont pas totalement inconnus de nos palais. C'est vers eux que la France de la fin du XIXe siècle s'était tournée quand ses vignobles furent décimés par le phylloxera. Si bien que la Serbie, où la tradition viticole remonte à l'époque romaine, fut avant les guerres balkaniques du début du siècle dernier et la Grande guerre un des principaux exportateurs européen de vin vers la France, l'Autriche ou l'Allemagne. C'est à cette époque que le monastère créa la première école professionnelle serbe de viticulture. Le choix s'était imposé car la région bénéficie d'un terroir exceptionnel caractérisé par des sols argilo-calcaires et un climat extrême, très chaud l'été très froid l'hiver, avec beaucoup de vent.

 

 Le Père Platon avait gardé pour nous quelques rangs à vendanger. Des grappes bien mais pas trop mûres, exemptes de cette pourriture toujours si prête à attaquer les raisins. Tous les cépages ne sont pas ramassés au même moment et ainsi les vendanges sur ces coteaux qui dominent le Danube s'étalent entre la fin août et le début octobre.

 

 Après l'effort, le réconfort, dit le dicton. Ainsi nous fûmes invités à partager le repas des religieux. Une moussaka au thon, « le plat le plus riche » que les moines s'autorisent, explique le père Platon qui nous confie qu'on mange maigre au monastère, et qu'on n'y sert jamais de viande. C'est autour de ce plat et d'une assiette de fromage qu'on goûta les vins de la maison, commercialisés dans le pays sous l'étiquette de Filigran.

 

C'est ainsi que les langues se délient et que le Père Platon nous raconte qu'il ne fut pas toujours l'homme qu'il est aujourd'hui. A 17 ans, le jeune homme, qui vendait des skate boards en ville et s'appelait encore Aca, ne rêvait que d'une chose : aller à Marseille et à Barcelone participer à des concours dans cette discipline. Jusqu'au jour où il rencontra Dieu et convainquit ses parents qu'il avait trouvé sa voie. A Bukovo, il devint viticulteur sous la houlette d'un œnologue laïc local. Le restera-t-il ? Il l'ignore. La hiérarchie peut le nommer où bon lui semble quand bon lui semble. « Ce sont les règles », dit-il « que nous acceptons tous ».

  

Mais rendez-vous est pris. Nous reviendrons cet automne.

 

  

Hélène Despic

 

Directrice de Nouvel Est, agence spécialisée dans les voyages Balkans, Caucase

 

 

 

Les chais

Dans l'est de la Serbie les villages vignerons se déclinent en deux parties, comme à Rajac. Le village du bas, où vivent les familles, et le village du haut, constitué de chais - « pimnice » en serbe- où les vignerons gardent leur vin, à bonne température. C'est pourquoi la partie basse s'appelle Rajac et la partie haute Rajacke Pimnice. Ces chais sont de petits édifices rustiques avec de rares ouvertures étroites. En haut un étage où le vigneron pouvait dormir après les travaux. En bas, un rez de chaussée légèrement creusé dans la terre où sont conservés les tonneaux et à l'occasion les ballons de rakija, l'alcool de prune local. Après des années de déconfiture, Rajacke Pimnice et ses caves connaissent un soudain renouveau. A l'image des vignobles alentours où on a remis à l'honneur un cépage local au goût inattendu nommé tamjanika, un typique vin serbe.

 

Cet article a été publié par liberation.fr dans ses Carnets de voyage le 11 mai 2018

 

 

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